La lecture anthropologique des Évangiles faite par René Girard (1923-2015), philosophe, anthropologue et historien français, dans son ouvrage paru en 1999 et intitulé «Je vois Satan tomber comme l’éclair », démontre avec une rigueur toute scientifique que les forces du Mal, si elles sont perçues à tort comme des mythes, ne sont jamais désincarnées. Extrait: «Satan ou le Diable est tour à tour celui qui fomente le désordre, le semeur de scandales et celui qui, au paroxysme des crises qu’il a lui-même provoquées, y met brusquement fin en expulsant le désordre. Ce qui permet de conclure que Satan expulse Satan en accusant une victime innocente qu’il réussit toujours à faire condamner, tel un bouc émissaire. Parce qu’il est le maître du mécanisme victimaire qui se nourrit de la rivalité mimétique pour engendrer la haine, Satan est aussi le maître de la culture humaine qui n’a pas d’autre origine que le meurtre. C’est le diable en dernier ressort, autrement dit le mauvais mimétisme, qui est à l’origine non seulement de la culture caïnite, mais de toutes les cultures humaines.»
«Je te bénis, Père, d'avoir caché cela aux sages et aux habiles et de l'avoir révélé aux tout-petits.» Les sages et les habiles, depuis, se sont bien vengés: À force de concasser les Évangiles, ils en ont fait un petit tas de pièces et de morceaux trop hétéroclites pour signifier quoi que ce soit. Comme pour la philosophe Simone Weil, René Girard pense que les Évangiles sont une théorie de l'homme avant d'être une théorie de Dieu. Découvrir cette théorie de l'homme et l'accepter, c'est rendre vie aux grands thèmes évangéliques relatifs au Mal – de Satan à l'Apocalypse – et aussi ressusciter l'idée de la Bible tout entière comme prophétique du Christ. Dans le dépérissement des pensées modernes – représentées par un athéisme toujours plus ignorant et inconséquent –, les Écritures saintes seraient-elles les seules à tenir debout ?
S’il doit subsister le moindre doute sur l’enclenchement du mécanisme victimaire brillamment argumenté par Girard et censé résoudre les scandales en purifiant la communauté de son prétendu fauteur de troubles, l’accusateur peut toujours avoir recours à la corruption pour inciter ses suppôts à faire le jet de la première pierre au sein d’une foule excitée et avide d'en découdre, mais encore hésitante à vouloir lapider le coupable idéal. Dans Matthieu, chap. 27, versets 1 à 5, voyant que Jésus avait été condamné à la crucifixion, Judas fut pris de remords et rapporta les trente pièces d’argent aux grands prêtres en leur avouant : « J’ai péché en livrant un sang innocent. » Si la corruption de Judas est exceptionnellement établie en la circonstance, il faut aussi convenir qu’elle a pu l’être au prix d’un courage hors normes du repenti et du sacrifice de sa vie, et que, par conséquent, pareilles unicité et exemplarité sont assurément inversement proportionnelles au nombre d’actes corruptifs réels ou supposés perpétrés ordinairement dans les sociétés humaines, mais jamais révélés. C’est dire si à côté de la calomnie qui nourrit forcément la rivalité et la violence mimétiques, la corruption demeure l’arme satanique complémentaire par excellence qui, aussi efficace qu’invisible, fait office de catalyseur au cas où le meurtre sacrificiel, tant attendu par le pouvoir et la foule, risquerait d’échouer (Extrait de «Tu ne mourras point» de Joël Lubicz).
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